Stone Age
Au printemps 2021, la galerie Gaudel de Stampa m’a proposée le commissarait d’une exposition de rentrée post confinement.
J’ai invité huit artistes dont trois issu•es de la galerie pour group show intitulé STONE AGE.
Vidéo
Réalisation, image, montage et voix : Damien Faure
Musique Xavier Roux
Photos : Aurélien Mole
STONE AGE
On entre dans la galerie Gaudel de Stampa un peu comme dans une grotte, traversant un vestibule pour pénétrer dans une cavité sans fenêtre, un white cube éclairé par le haut. Une galerie-grotte, une grotte-galerie. Une contraction temporelle survient alors, comme pour les 15 volontaires trogloxènes de l’expédition récente Deep Time, qui ont passé quarante jours au fond d’une grotte, coupés du monde.
STONE AGE
C’est un pavé dans l’écran Rétina. On résiste, on jouerait à penser que la caverne se serait retournée comme un gant, les chimères enfermées dehors et nous réfugié.e.s dedans. On traverse l’écran, on se connecte avec les temps innocents, immémoriaux, loin des virtual viewing rooms ou des œuvres crypto-monnayables.
BEHIND THE SCENES
Comme sur les parois ornées des cavernes, les rapports de force, de pouvoir et de domination reprennent vie. Dans des saynètes cathartiques, violentes et burlesques, Rafael Moreno nous la joue Tom & Jerry façon junk. Puis, tel un Frankenstein, qui serait aussi boulanger, il fabrique des bouts de corps, mi-pain, mi-humanoïde, autant de créatures prêtes à participer au feu de joie.
Clément Garcia confectionne en série des faces en terre, qu’il farde d’épaisses couches de cosmétiques et maquillages. Concrétions matérielles de mille et un tutos make up, la série Femmascs alourdit les placides visages
de grès d’intenses atours (On peut tester les filtres/masques Instagram sur @clementgarcial). Bout par bout, un corps pétrifié apparait spontanément au sol. Golem gisant, prototype d’humanité, iel repose paisiblement dans un lit improvisé, bordé d’une couverture aux motifs brumeux (en collaboration avec Charlène Wang).
On pourrait trouver les sculptures de Lina Viste Grønli à la supérette des Flintstones, des objets du quotidien recouverts de petits cailloux. L’archéologie passe par l’étude de l’objet vernaculaire, un retour à la pierre en passant par
le rayon surconsommation.
Avec ses Cocoons, Andrea Romano opère une compression maniérée des âges de l’art et des techniques, il se joue de la géologie et coud des feuilles d’ardoise, pour en faire les perles d’une sorte de rosaire géant.
Enfants, chamans, dieux… On s’invente de nouvelles idoles, de nouveaux prototypes, de nouveaux rituels et nous brandissons férocement nos armes poétiques.
BEHIND THE SCREENS
Les écrans sont fait de roches, de larmes et de sang. Ils nous rendent la vie impossible et les choses invisibles. Alors qu’un geste du pinceau de Clément Rodzielski met en relief tout le vernis (l’écran ?) qui recouvre le monde, en ajoutant ce plan, il nous révèle le précédent, un fond original peint pour dessins animés japonais. Sans le savoir, en regardant ces animés, on regardait de la peinture.
Florence Reymond, par couches accumulées, s’acharne comme une enfant, gratte et en réalité creuse dans les croutes de l’art et met à nu les parois de notre grotte oubliée. On se trouve face à ces monticules de matières : autels totémistes ou statues-menhirs, vieilles de 5000 ans, qui semblent nous observer avec leurs yeux trop kawaï.
« PEUT-ÊTRE UNE PEINTURE »
Transposer un compte Instagram dans la vraie vie tangible. C’est ce que Gwendal Coulon tente avec ses statements à l’aquarelle, dont les fonds dégradés, d’ordinaire impeccablement numériques, dégoulinent et larmoient. Mais qui va liker une aquarelle ? Nos avatars ont souvent bien plus de succès que nous-mêmes, dans notre vie quotidienne. Devant ses châssis vides ou cadres d’allu et plexis à peine peints, il nous fait regardeur.euse de peintures en puissance, virtuelles, « en construction ». Peindre c’est d’abord cadrer, ouvrir la fenêtre, mais sur quoi ? Est-on avant la peinture ou après ? Seraient-ce des ruines ou des fondations ? Loading…
Le cadre se racornit chez Jessica Warboys, fenêtres réduites à peaux de chagrin, écran-lorgnettes, miroir déformants… Empruntant ici au métier d’art qu’est le vitrail, elle crée de petits assemblages, des petits gris-gris de verre colorés, invocations animalière ou magique ou « oculus animi index »…
Dans cette grotte, on ne travaille pas, on fait. On handcrafte à mort. On fabrique des idées avec nos mains, de la poésie avec nos pattes pour redéfinir un Cosmos, nous les humanimaux. On s’affranchit de dizaines de milliers d’années d’expériences au monde, toutes plus inutiles et vaines les unes que les autres, on contourne les écrans occultants, enduit.e.s de boue.
STONE AGE
We enter the Gaudel de Stampa gallery as if it were a cave, passing through a vestibule into a windowless chamber, a white cube lit from above. A gallery-cave, a cave-gallery. Time contracts as it did for the 15 cave dwellers from the recent Deep Time experiment who spent forty days underground cut off from the rest of the world.
STONE AGE
We break through the retina display screen. We resist, we toy with the idea that the cave is turned inside out like a glove, that mirages lurk outside while we shelter within. We pass through the screen and connect to an innocent time immemorial, far-removed from “virtual viewing rooms” or crypto-monetary artworks.
BEHIND THE SCENES
Here, like in those prehistoric shelters covered with rock paintings, questions of power relations, of survival and domination, are conjured up. But the cruelty and burlesque of Rafael Moreno’s scenes of catharsis are a junkyard reenactment of a Tom & Jerry episode in which Moreno, like a Frankenstein with baker-like dexterity, has shaped half-breadloaf, half-humanoid body parts into a horde of creatures eager to gather round the primeval bonfire.
Clément Garcia produces standardized faces in clay on which thick layers of foundation and cosmetics are applied. His material concretions formed by countless makeup tutorials give us Femmascs, a series of stoneware masks heavily laden with garish product. (Garcia’s Instagram masks/filters can be tested at @clementgarcial). One part at a time, a petrified body materializes on the floor of its own accord. Like a recumbent Golem, or a prototypical Man or Woman, s(he) reclines peacefully on a makeshift bed cloaked in an ethereal shroud (in collaboration with Charlene Wang).
Lina Viste Grønli’s sculptures could be found at a convenience store for the Flintstones. Blending archeology and the study of material culture, her pebble-covered everyday objects take us down the aisle of hyper-consumerism – straight back to the Stone Age! With Andrea Romano’s Cocoons, a stylistic amalgamation of artistic and technological ages occurs. In a surprising play on geology, Romano stitches together sheets of slate to produce the beads of what appears to be a giant rosary.
Children, shamans, gods… We invent new idols, prototypes and rituals, fiercely wielding our poetic weapons.
BEHIND THE SCREENS
Our screens are made of rock, tears, and blood. They make our lives impossible and the real world invisible. But Clément Rodzielski, with a painterly gesture, draws our eye to the coats of varnish (screens, perhaps?) covering the world, adding a layer to reveal the one underneath: an original background painted for a Japanese cartoon. Unsuspectingly, while we were watching those animes, we were looking at paintings.
Florence Reymond accumulates layers, obstinately, like a child. Digging and scraping away at the outer crust of art, she lays bare the walls of our primordial caves to confront us with mounds of matter, like totemic altars. Or perhaps they are those menhir-like statues, some 5000 years old, whose kawaii eyes seem to be looking out at us.
̋MAY BE A PAINTING˝
Gwendal Coulon’s watercolor Statements give tangible form to an Instagram account, whose normally flawlessly gradient digital backgrounds run drippily down the face of the canvas. But can you imagine anyone “liking” a watercolor painting? In our everyday lives, our avatars are often far more successful than we are. With his empty stretchers and barely painted frames of aluminum and plexiglass, Coulon turns us into viewers of paintings in the making, of virtual paintings “under construction” and progressively revealed. As to paint is above all a question of framing, of opening a window… But onto what? Is this the painting’s “before” or “after,” its ruins or foundations? Content loading…
The frame in Jessica Warboys’ case is reduced to almost nothing, taking on the shape of a peephole or a miniature funhouse mirror… Borrowing from the art of stained-glass window making, she creates small assemblages, diminutive talismans made of colored glass, evocative of some totemic ritual or magical incantation… “Oculus animi index”.
In this cave, we don’t work, we create. We handcraft left, right and center. We mold ideas with our mitts. Make poetry with our paws. We are ‘humanimals’ redefining a Cosmos. We break free from tens of thousands of years of world experiences – each more useless and vain than the last. Slathered in mud, we escape the obscure insularity of our computer screens.